Energ-Ethic - Comment mobiliser les propriétaires-bailleurs pour une rénovation 'énerg-éthique' ?

Pour atteindre les objectifs liés aux enjeux environnementaux comme le changement climatique et la transition énergétique, l'Union Européenne s'est dotée de différents outils dont les stratégies 20-20-20 et 2030. Ces stratégies et leurs objectifs sous-jacents sont déclinés par chaque pays membre et, vu le profil fédéral de la Belgique, au niveau des trois régions du pays et des principaux secteurs consommateurs/émetteurs.

En ce qui concerne la Région wallonne, le secteur des ménages n'est certainement pas négligeable en matière de consommation d'énergie (en 2013, le logement représentait plus d'¼ de la consommation finale de la région ) et d'émissions de CO2, mais également en potentiels d'amélioration liés notamment à la rénovation efficiente des logements.

Le parc résidentiel wallon (1.648.556 logements en 2014 ) est effectivement particulièrement ancien (plus des ¾ du parc de bâtiments date d'avant 1981 et donc de toute règlementation en matière d'efficacité énergétique). Or, vu le faible taux de renouvellement (nouvelles constructions et démolitions/reconstructions), ce parc sera encore bien présent d'ici 2050 et nécessitera d'importants investissements en rénovation de logements existants.

Ce secteur a donc son rôle à jouer pour contribuer aux objectifs régionaux et plusieurs mesures/mécanismes (ex : primes énergie régionales/provinciales/communales, écopack, certificats verts, etc.) sont en place pour le mobiliser vers une rénovation efficiente sur le plan énergétique et intégrant éventuellement des unités de production d'énergie à partir de sources renouvelables.

Par ailleurs, les ménages font également face à diverses pressions d'ordre plus sociétal qui s'exercent sur leur budget et leur potentiel d'accessibilité à un logement de qualité, adapté à leurs besoins.

D'une part, les évolutions démographiques (accroissement du nombre de ménages ) et l'attrait grandissant de l'immobilier comme valeur-refuge pour les investisseurs induisent une tension à la hausse sur le marché de l'immobilier, alors que les crises économique et bancaire limitent les moyens disponibles de la plupart des ménages.

D'autre part, la libéralisation des marchés de l'énergie, les évolutions tarifaires notamment liées aux fluctuations de marché mais également aux modes de financement de certaines mesures (ex: transport et distribution, obligation de services publics des gestionnaires de réseaux de distribution, etc.) ou aux taxes (ex : fluctuation du taux de TVA sur l'électricité) se traduisent par des factures énergétiques de plus en plus lourdes pour les ménages, surtout en l'absence de rénovation du bâti.

La combinaison de ces phénomènes se concentre particulièrement sur la frange la plus vulnérable de la société et se traduit notamment par un basculement en précarité énergétique d'une part non-négligeable de ménages wallons (à savoir potentiellement plus de 25% des ménages sur base des résultats de l'année 2013 du  développé sur base des données SILC-EU ). L'étude préalable sur la précarité énergétique en Belgique montre que la rénovation énergétique des logements est l'une des seules mesures durables (dans tous les sens du terme) capable d'enrayer le phénomène, mais qu'un pan de la population, particulièrement touché par la précarité et la précarité énergétique en particulier semble oublié par les mesures/incitants existants. Ce pan de la population concerne plus spécifiquement les locataires et notamment ceux du marché locatif privé (soit les mesures ne les concernent pas directement, soit elles ne sont pas vraiment capables de mobiliser les propriétaires-bailleurs entre autres parce que la problématique du ‘split incentive' n'est pas solutionnée, soit elles ne prévoient pas une protection des locataires contre un risque de gentrification, soit la rénovation porte plus sur la salubrité générale du logement plus que sur une amélioration sensible de son efficacité énergétique).

Or, en moyenne 31% des ménages wallons sont locataires, et la majorité l'est dans le parc locatif privé. En outre, les centres urbains concentrent traditionnellement une proportion plus importante de locataires. Ce public est en général d'un niveau socio-économique plus faible que celui des propriétaires et cumule à cela la difficulté de motiver son propriétaire à une rénovation « énerg-éthique » alors que le marché est tendu et que la concurrence fait rage pour accéder à un logement ‘correct' et ‘abordable'.

Inciter et soutenir les rénovations « énerg-éthique » des logements loués via un mix de mesures adéquates, éventuellement spécifiques, permettrait d'améliorer non seulement 1- les performances du secteur du logement en termes de consommation d'énergie, d'émissions de CO2 ou de polluants nocifs pour la santé (cf. émissions de NOx dues au chauffage notamment dans les grands centres urbains) et 2- de réduire, ou tout au moins stabiliser, la facture globale liée au logement d'un pan globalement plus fragile de la population ; mais également 3- d'accroître le chiffre d'affaire du secteur de la rénovation qui est traditionnellement pourvoyeurs d'emplois locaux pour des travailleurs peu qualifiés.

Par ailleurs, les propriétaires-bailleurs ont eux aussi tout intérêt à réduire ou stabiliser le coût global lié au logement auprès de leurs locataires. Outre la plus-value du bien liée à l'investissement, la rénovation « énerg-éthique » pourrait être un moyen de s'assurer que la situation socio-économique des locataires ne se détériore pas plus à l'avenir (cf. hausse attendue sur le long terme des prix des énergies) et d'éviter les risques traditionnellement encourus au niveau des impayés ou de la rotation d'occupation / vacance locative.

Objectif et résultats escomptés

Le projet s'intéresse aux outils et mécanismes de soutien et d'incitation à la rénovation des logements par les propriétaires-bailleurs (comment dépasser l'éternel obstacle du ‘split incentive'). Etant donné la spécificité du logement social géré par une SLSP , cet aspect du marché locatif ne sera pas traité.

Une attention particulière sera portée aux quatre principaux centres urbains wallons (Liège, Charleroi, Namur et Mons) puisqu'ils concentrent une partie importante du parc locatif ainsi que des ménages précarisés.

Sur base d'une évaluation des outils existants, d'un benchmark avec des mesures développées dans les deux autres régions du pays ou d'autres pays européens, d'une analyse plus approfondie avec récolte d'information sur place d'une sélection de cas particulièrement intéressants notamment pour leur potentiel d'applicabilité en Région wallonne, plusieurs enquêtes de terrain (auprès de propriétaires-bailleurs et associations de propriétaires ou de locataires) seront réalisées pour élaborer une typologie des propriétaires-bailleurs et estimer l'acceptabilité des diverses mesures/améliorations retenues en fonction notamment du profil des propriétaires.

L'ensemble des résultats devra permettre de suggérer un ‘policy mix' destiné à favoriser les rénovations « énerg-éthiques » par les propriétaires-bailleurs.

Le projet intègrera par ailleurs une forte composante sociale en lien avec la lutte contre la précarité énergétique des ménages (cf. selon nos études précédentes en matière de précarité énergétique en Belgique , il a été montré que les locataires avaient une propension plus forte à la précarité énergétique suite à leur niveau socio-économique globalement plus bas que celui des propriétaires et suite à leur manque de moyens pour agir sur une des causes essentielles : la qualité énergétique du logement).

Méthodologie

Outre les méthodes classiques d'analyse bibliographique (ex : articles scientifiques, rapports de recherche, rapports statistiques officiels, etc.) et d'analyse de documents de sources variées (sites internet comme Energy-Cities, publications officielles ou du monde associatif, etc.), le projet proposé se base sur une approche plutôt qualitative destinée à mieux comprendre le marché résidentiel locatif en Région wallonne (exception faite du logement public géré par les sociétés de logement social), sa typologie et ses motivations, mais également à évaluer les mesures actuelles en matière de rénovation pour ce segment de marché ou à analyser l'acceptabilité potentielle de mesures mises en œuvre dans d'autres régions du pays ou dans d'autres pays européens pour promouvoir les rénovations « énerg-éthiques » par les propriétaires-bailleurs.

Pour ce faire, des experts (en Région wallonne mais également ailleurs en fonction des mesures du benchmark sélectionnées pour une étude plus approfondie) seront consultés via des entretiens semi-directifs en face à face afin d'identifier les principaux défis. Néanmoins, eu égard aux spécificités de la thématique couverte par le présent projet de recherche, il est impératif d'adjoindre à ces savoirs 'froids' (que constituent l'analyse de la littérature scientifique et des connaissances d'experts) des considérations réellement de terrain. Afin de pouvoir approcher concrètement ces savoirs dits chauds, l'équipe de recherche organisera des tables rondes (dans une logique inspirée des focus groupes). En effet, l'observation participante opérée dans ce type d'approche permet de faire émerger les enjeux transversaux et les champs sémantiques utilisés par les gens directement impliqués par le thème de la recherche (tant les propriétaires bailleurs que les locataires).

Un aspect plus quantitatif sera également développé et basé sur les sources de données statistiques disponibles (ex : enquête EU-SILC, enquête budget des ménages, Bilan énergétique de la Wallonie) afin d'estimer notamment la représentativité des profils de propriétaires-bailleurs identifiés, d'estimer les impacts potentiels d'une mesure, etc. Des enquêtes par questionnaires accessibles via internet (ou version papier si pas applicable) seront également réalisées par l'équipe de recherche et en collaboration avec les organismes ‘hôtes' (ex : Syndicat des Propriétaires et Copropriétaires, Fédération des Agences Immobilières Sociales, CPAS, etc.) auprès de locataires et/ou propriétaires-bailleurs à propos du recours aux mesures actuelles, aux motivations ou à l'acceptabilité/applicabilité de certaines mesures sélectionnées dans les études de cas détaillées.

Phases du projet

Le projet est pensé pour une durée de trois ans mais en tenant compte d'une procédure de « go/no-go » annuelle. Des étapes plus spécifiques pour chaque année du projet sont donc identifiées.

ANNEE 1

  • Etat des lieux dans la littérature scientifique sur la problématique du « split-incentive » apparaissant dans le secteur du logement entre le propriétaire-bailleur et son locataire en cas de rénovation, de ses conséquences et des pistes évoquées pour y remédier.
    Sur cette base, une première réflexion sera menée sur les indicateurs-clés à utiliser pour élaborer une typologie des propriétaires-bailleurs en Région wallonne (ex : issu du secteur privé/secteur public, gestion en direct ou via un intermédiaire, mode d'acquisition, etc.).


  • Evaluation de l'efficience et de l'efficacité des mesures existantes en Région wallonne, mesures régionales, et dans les principaux centres urbains (Liège, Charleroi, Namur au minimum), mesures plus locales, en matière de soutien/incitation à la rénovation de logements sous l'angle des propriétaires-bailleurs et des locataires. La mise en perspective par rapport aux enjeux environnementaux et sociétaux dans un futur proche (ex : 2020) ou plus lointain (ex : 2050) permettra également d'évaluer la capacité de la mesure analysée à y faire face ou à contribuer à l'objectif régional/local en la matière.


  • Identification dans les deux autres régions du pays et d'autres pays européens (France, Pays-Bas, etc.) de mesures/mécanismes de soutien et d'incitation à la rénovation des logements ciblant les propriétaires-bailleurs et avec un objectif de protection de l'accès au logement pour les locataires.



ANNEE 2

  • Sur base des mesures décrites dans le benchmark, une sélection sera opérée parmi les mesures considérées comme les plus pertinentes pour compléter les mesures wallonnes existantes de soutien ou d'incitation en matière de rénovation de logements loués ou leur offrir une alternative. Ces mesures feront l'objet d'une analyse plus détaillée via notamment la réalisation d'entretiens et la collecte de données sur place concernant notamment leur efficience et efficacité réelles par rapports aux objectifs annoncés, leurs principaux freins ou facteurs de succès en termes d'élaboration et de mise en œuvre.


  • Au minimum une dizaine d'acteurs-clés jugés ‘experts' dans le domaine de la location de logements (ex : Agences Immobilières Sociales, Syndicat des Propriétaires et Copropriétaires, Syndicat des Locataires, Rassemblement Wallon pour le Droit à l'Habitat, etc.) feront l'objet d'un entretien semi-directif en face-à-face à propos des enjeux et défis liés à la rénovation des logements loués (exception faite des logements loués via une société de logement social). Par la suite, plusieurs tables-rondes de propriétaires-bailleurs et de locataires seront organisées (potentiellement trois tables-rondes propriétaires et trois tables-rondes locataires pour couvrir les quatre principaux centres urbains wallons que sont Namur, Liège, Charleroi et Mons).


  • Sur base des résultats précédents, une typologie des propriétaires-bailleurs en Région wallonne sera proposée et discutée. Elle se basera sur différents critères distinctifs qui permettront de déterminer un profil général de comportement du propriétaire vis-à-vis de son/ses biens. Elle permettra également d'analyser dès lors quelles mesures de soutien ou incitative(s) auront le plus de chance de le mobiliser pour une rénovation « énerg-éthique » ou d'identifier les profils de propriétaires-bailleurs les plus enclins à réaliser ce genre de rénovation.



ANNEE 3

  • Sur base des résultats des deux années précédentes, un/des policy mix favorisant la rénovation « énerg-éthique » par les propriétaires-bailleurs sera/seront proposé(s) en tenant compte le plus possible de la typologie des propriétaires-bailleurs en Région wallonne en général et dans les quatre grands centres urbains plus spécifiquement.


  • Une analyse plus quantitative viendra compléter ce policy mix afin d'en estimer les impacts potentiels tant sur le plan environnemental que sociétal. Les deux tâches seront itératives et basées notamment sur l'élaboration d'indicateurs et de scénarios prospectifs.


  • Un rapport final sera rédigé afin de compiler l'ensemble des résultats de la recherche, ainsi qu'une série de policy briefs thématiques à destination des décideurs politiques et des acteurs du marché. Diverses présentations seront prévues également pour en assurer une diffusion et une appropriation plus efficace.